Une société ou un Etat est caractérisé, avant tout, par l’ensemble des manières dont l’autorité est exercée en son sein. C’est ce que nous nous appelons « Politique ». L’autorité a pour devoir d’organiser la collectivité et de veiller au bien être du plus grand nombre. De quoi s’agit-il ici ? « La Sécurité ! ».

Combattre efficacement la délinquance implique des stratégies de prévention, qui commencent par la mise en place d’une politique criminelle propre à la dimension et à la réalité d’une société donnée.

L’art de lutter contre le crime selon Foucault, « C’est la manière de conduire les conduites des individus qui forment la population d’un Etat. ». Pour se faire il faut avoir des informations pertinentes, des ressources disponibles, un certain nombre d’institutions  et  de programmes.

Le désordre social, l’inadéquation des mesures coercitives, l’afonctionalité du système de l’Etat civil, l’absence totale de tout mécanisme de défense sociale et le comportement tribal de l’essayage chez l‘homme haïtien sont les maitres mots que nous pouvons utiliser pour résumer la problématique de l’insécurité dans le pays.

En bref, en Haïti, selon nous, plusieurs choses font défaut et sont la cause d’une mauvaise politique criminelle :

1° Carence du système d’identification :

Bentham, considéré comme l’un des premiers légistes constructeurs de l’Etat, dans sa vision HOMO-PENALIS (basée sur la science de l’identité, la science du bien et du mal ou endémonique et la science pénale) stipule que l’on peut gouverner scientifiquement les êtres humains par une politique d’identité. Celle-ci crée et engendre une série d’illusions auxquelles les individus croient profondément (ex : avoir un numéro national, avoir une adresse, posséder des droits entant qu’individu, être propriétaire etc.). Par cette politique d’identité l’Etat se donne les moyens de manipuler les intérêts de chacun des membres de la société (ex : interdiction de laisser le pays, perte de droit d’éligibilité, privation de la citoyenneté, fichage dans le casier judiciaire, etc.). C’est une sorte de code de la circulation des individus, de dispositif de traçabilité.

Or nous savons qu’en Haïti l’élément Haïtien n’est même pas répertorié voir socialisé. Il est officiellement marginalisé dans son propre environnement. Très souvent c’est dans le cadre d’un projet de voyage ou pour acquérir sa fiche d’examen de rhéto qu’un élément haïtien obtient pour la première fois un document officiel justifiant son existence. Nous faisons l’économie de parler ici des débrouilles avec les raquetteurs devant la DGI, là n’est pas notre sujet.

A cela, s’ajoute la libre circulation de certains criminels de profession venant de l’Amérique du nord (Etats-Unis, Canada…) qui sont des experts habilités à défier des systèmes de sécurité très perfectionnés.

Comment peut-on alors avoir la prétention de gérer quelqu’un ou quelque chose dont on ne connaît pas l’existence.

Les moyens sont là mais mal utilisés. Loin d’être insensible à la violence conjugale (qui n’est d’ailleurs pas exclusivement masculine), à la lutte pour l’égalité des sexes, et à la discrimination tout court, nous pensons qu’au lieu d’investir dans un ministère de plus (MINISTERE A LA CONDITION FEMININE) par exemple, l’argent ainsi économisé pourrait être utilisé à la création d’un système de renseignements ou d’identification.

2° Manque de structure et inefficacité des prestations de services de la police.

De nos jours les réseaux criminels sont de plus en plus  performants, ils utilisent des moyens très sophistiqués et leur savoir faire leur conquière une mobilité internationale. Face à cette possibilité de nuire il est indispensable que les autorités haïtiennes emboitent le pas. Quand on n’organise pas la sécurité, l’insécurité s’organise. Optons pour une police apte à faire face à ce défi. Une simple volonté politique et une ouverture d’esprit  peuvent changer la donne et transformer  ce troupeau de coyotes qui assure l’insécurité en une vraie force de police professionnelle. Cela fait longtemps déjà que l’on nous parle de cela. Dans la réalité, rien de concret, alors que les délinquants progressent dans la professionnalisation de leur métier. Depuis l’arrivée de l’actuel directeur à la tête de la Police Nationale d’Haïti (PNH), malgré les efforts consentis, on a l’impression qu’il y a une force parallèle qui, elle, décide que rien ne doit bouger.

Avant de parler de modernisation ou de professionnalisation de la PNH, les dirigeants doivent d’abord donner de l’allure aux commissariats. Ce que nous voulons dire c’est que physiquement et matériellement on ne peut même pas comparer la PNH à « Toto borlette ». Au moins, chez eux, on voit une devanture qui reflète leur aspiration et ils ont ce qu’il faut pour faire les fiches !

Il faut faire l’expérience de visiter un commissariat de police en Haïti : c’est crasseux, graisseux, poussiéreux, rien ne laisse penser que l’on est dans un lieu qui a pour mission de « Protéger et servir » vu que les gens qui y travaillent ne le sont pas. Dépourvu d’infrastructure, d’agenda et de sens des responsabilités, c’est un spectacle dramatique où le comportement folklorique de l’haïtien est au rendez-vous (on fait son petit show, on crie sur les prévenus ou du moins seulement sur les petits poissons et voilà, le boulot est fait, on est un « GRAND CHEF »). Il y a comme une ambiance de fourmis folles, ça va et ça vient dans tous les sens, on a l’impression que chacun a son agenda et gère son propre business. C’est très compréhensible quelque part, il faut bien se créer une activé quand on a rien à faire.

Pourtant, dehors le désordre règne en maitre. Il y a tellement de choses à faire, sauf qu’elles ne sont pas sur la liste des priorités de nos dirigeants. Faute de volonté et l’ignorance des décideurs sont aussi la cause de cette triste réalité. Et là encore, qu’on ne vienne pas me parler de manque de moyens, ils sont bien là. Avec seulement 10% du budget d’achat des grosses jeeps des CHEFS, on peut donner un coup de pinceau, équiper les policiers en outils de travail et les commissariats en matériel de bureau indispensable à la bonne marche d’une institution.

3° Insuffisance d’intellectuels et de scientifiques dans la Police :

Haïti est l’un des seuls pays ou l’on peut encore penser que la sécurité est exclusivement une affaire de gendarmes. Au 21ème siècle il est impensable d’aborder le champ de la sécurité sans l’apport de savoir scientifique. De nos jours, on arrive même à quantifier l’efficacité d’une patrouille de police à l’aide de formules mathématiques.

Je ne prétends pas que tous les agents de la PNH doivent être des intellectuels confirmés, mais il faut savoir utiliser certains outils méthodo-criminologiques pour pouvoir efficacement métriser et neutraliser la couche criminogène de la société. Le personnel d’un service de polices peut aussi être renforcé par des cadres civils (experts et spécialistes) et par des auxiliaires de police n’ayant pas suivi une formation complète d’officier de police pour effectuer certains types d’opérations ne nécessitant pas un entrainement physique et le maniement des armes.

En ce qui à trait aux personnes pouvant servir d’auxiliaires de police cette ressource est disponible en qualité et quantité en Haïti (Facultés Ethnologie et Science Humaine). Elles peuvent aider à cerner, à comprendre et découvrir le caractère social de la criminalité. Chaque année, des centaines de jeunes étudiants finissants sortent des universités et trainent sur le béton. Ils seraient très contents d’être engagés en tant que civil dans le rôle d’agent de prévention, même pour un maigre salaire. L’Etat rentabiliserait ainsi l’investissement réalisé pour la formation de ces jeunes.

Parlant d’experts et de spécialistes en Haïti, comment est ce possible de vouloir conduire la conduite des gens dans l’ignorance des causes bio-psycho-sociologiques du passage à l’acte étudiées dans la science du crime (la criminologie) ?  Comment faire de la prévention sans comprendre l’aspect social du crime ?  Pour cela, il nous faut des criminologues, des psychologues et des sociologues au sein de la PNH. Avec seulement deux médecins légistes pour tout Haïti, il n’y a rien à ajouter.

Il faut souligner, par ailleurs, qu’être formé et avoir de bonnes qualifications est synonyme de gênant pour certains dirigeants en Haïti, sauf si on est membre de la tribu. Occuper n’importe quel poste est une banale affaire de camaraderie. C’est plus rassurant de collaborer avec des personnes incompétentes. Avec des rustres et des ploucs, on est bien confortable dans sa connerie et on a la garantie de se faire lécher les bottes et d’être appelé CHEF LA, CHEF LA … L’haïtien adore ces petites flatteries.

En effet, il est important de rappeler qu’entre grade, poste ou fonction, il y a la compétence. Peut-être avons-nous péché en écrivant qu’il n’y a pas assez d’intellectuels au sein de la PNH. Mais en tous cas, ils sont invisibles, les bonnes personnes ne sont peut-être pas aux bons postes.

4° Défaillance du système d’éducation

L’Etat a des droits mais aussi des devoirs. Il devrait se donner les moyens de bien gérer la population. Ces droits légitimes, l’Etat les acquière par la socialisation et la protection de ses citoyens. Dans le « Contrat social », cette socialisation, selon Jean Jacques Rousseau, fait mention de l’obligation de l’Etat d’éduquer les membres de la collectivité ce qui leur permettrait de jouer pleinement leur rôle social. Via le processus de socialisation, l’individu fait siennes les normes et valeurs de la communauté sociale dans laquelle il évolue. C’est seulement à partir de là que l’on peut responsabiliser l’individu en tant que citoyen.

Ceci dit, le délinquant est un citoyen qui transgresse les normes et les valeurs établies et connues par tous dans une société  où il a été socialisé et où il est considéré comme acteur ou membre à part entière.

Mais dans le cas d’Haïti, y-a-t’il lieu de parler d’une socialisation étant donné le nombre d’enfants non scolarisés ? Alors, comment leur reprocher de commettre des actes délictueux et les traiter de délinquants ?

En guise de conclusion, un plan national de sécurité qui défini très clairement à quoi on veut arriver est nécessaire. Il devrait être réalisé par l’intelligentsia du pays et servirait de directive pour l’élaboration de sous-plans de sécurité communaux et de sections communales. Chaque zone a ses propres types de délinquance. A travers des outils statistiques, on peut analyser le caractère criminogène d’un lieu donné.

Ces sous-plans devront être exécutés par les mairies et commissariats de ces dits lieux et ceci en collaboration avec les CASEC et les ASEC. Ainsi, ces élus locaux serviront enfin à quelque chose.

Jean Marc Berthier ANTOINE

Psycho-Criminologue

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